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Medellín

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La ville du printemps éternel.

Ça fait rêver dit comme ça, mais on oublie trop souvent qu'il pleut pas mal au printemps...

Ceci dit, on n'a pas trop à se plaindre, il fait beau voire très chaud en journée puis un bel orage se déclare en fin d'après-midi. Plutôt pas mal comme compromis. 

Pas de quoi fléchir notre motivation, ça nous laisse aisément l’opportunité d'explorer quelques facettes de cette ville immense.

Comuna 13:

Il y a des noms comme ça qui résonnent d'un fort imaginaire et surtout un gros a priori négatif. Alors on va essayer de vous la faire simple et résumé, sans dire de bêtises, le plus objectivement possible, mais sachez évidemment que l'histoire est bien plus complexe et complète que mon blabla... 

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la Comuna 13, San Javier, ce sont en fait 19 quartiers . C'est grand!

Dans les années 90, Medellín était ville la plus dangereuse au monde. Et la comuna 13 était l'arrondissement le plus violent de Medellín. 

Ce qui s'est passé: 

Les groupes armés ravageaient les campagnes dans le pays. Les "campesinos" ( les habitants des campagnes ) et les indigènes ont été obligés d'émigrer vers la ville pour sauver leur peau et se réfugier vers ce qu'ils pensaient être un lieu plus sûr. 

Ils se sont entassés aux abords de Medellín, mais le gouvernement a fermé les yeux et n'a absolument pas reconnu la présence ni même l'existence de toute cette population. Du coup, pour survivre, ils ont récupéré ce qu'ils pouvaient pour se construire eux-mêmes leurs maisons, sortes de cabanes sur pilotis faites de bric et de broc, complètement branlantes, sans eau ni électricité, et soumises à toutes les intempéries dont de nombreux glissements de terrains. Des milliers et milliers de gens brisés, entassés les uns sur les autres vivaient dans une insalubrité et une pauvreté inimaginable. C'est ce qu'ils ont appelé "l'invasion".

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Ce secteur à flancs de montagnes est aussi le secteur d'entrée et de sortie de toutes les drogues, armes, etc de Medellín.  

Evidemment, des gens désespérés qui n'ont plus rien à perdre et qui habitent un labyrinthe gigantesque bien propice aux coups foireux, aux cachettes et où l'État ne met pas les pieds, c'est quand même idéal pour installer un QG de traffic de drogues et d'armes. 

Du coup, c'est en toute logique que les fidèles de Pablo Escobar ont développé leur business florissant ici. 

 

Après la mort du roi de la cocaïne, le quotidien ne s'est pas amélioré: scènes de guerre quotidiennes entre les guérillas (extrême gauche) les cartels de drogue, les gangs locaux et les paramilitaires (extrême droite). 

La population vivait dans une terreur constante. Entre les victimes de balles perdues, les recrutements forcés et/ou volontaires, les disparitions, ils se terraient sous leurs lits parfois des jours et des jours d'affilés. 

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En 2002, l'État décide de prendre les choses en main et de tout nettoyer au Karcher. Plusieurs opérations militaires de grandes ampleurs ont été menées pour éliminer tous les narcotrafiquants. Quand on dit grande ampleur c'est très grande ampleur: lors de la dernière et la plus meurtrière, l'opération Orion, le chef de l'armée est arrivé avec des régiments entiers et a décidé de tirer sur tous ceux qui lui paraissaient suspects. Narcotraficants, dealers, gerilleros, ou pas. C'était aussi au passage un peu l'occasion de se débarrasser de ceux qui gênaient (artistes, militants, indigènes, tous ceux qui ont une trop grande bouche, ou qui risqueraient de toucher l'opinion publique...)

Énormément de "civils" qui n'avaient rien à faire avec des truands ont été abattus. Énormément d'enfants ne sont jamais rentrés de l'école. Énormément d'innocents ont été tués. 

Les femmes ont alors pris du pouvoir en créant des organisations ou des associations ou, en tous cas, en se réunissant en communautés pour réclamer des explications, rechercher leurs maris, frères, pères, fils disparus. Elles ont organisé aussi la reconstruction, elles ont été la voix de tous les paumés, tous les gens cassés, pour revendiquer des droits ou au moins la reconnaissance de leur comuna. 

Depuis 15 ans, Medellín a décidé de s'occuper de la population délaissée à force de gros gros gros travaux. Dans la ville tout est neuf. Tout se reconstruit. 

À présent, la comuna 13 est desservie par le métro, des bus, une ligne de téléphérique (avec 4 stations) des escalators pour monter, des toboggans pour descendre, tout pour désenclaver ces gens qui n'avaient accès à rien, et surtout qui ne pouvaient pas accéder à la ville et donc au travail. Un grand plan permet aux habitants d'accéder aux soins, au logement selon leurs revenus ou surtout leurs non-revenus.

Dans le métro, des bibliothèques gratuites, dans le téléphérique quelques œuvres artistiques, les toboggans pour qu'enfin les gens s'amusent. Une âme d'enfant pour tous ceux à qui on a volé l'enfance. 

Après 50 ans de noirceur, de pure violence, tout est à construire à Medellín. Beaucoup d'espaces de sports (piscines, cours de gym, de danse... ) accessibles gratuitement. Bibliothèques gratuites, palais de la culture, musée de la mémoire, écoles de musique gratuites, studios d'enregistrement gratuits, espaces libres de rencontres, et surtout un énorme espace disponible est aloué au hiphop.

La culture hiphop a été très très importante dans le processus de libération du quartier. 

La danse, les graphs, la musique, la paroles s'est libérée à travers tous les arts de la rue. 

Et maintenant, outre les spectacles improvisés dans la rue, la comuna 13 est célèbre pour les murs revendicateurs colorés. Et chacun des murs est aussi beau que symbolique. Cet espace de liberté, ils l'ont rempli avec fierté et un grand sens du partage et de la mémoire. 

Malgré les problèmes sociaux, de violence et de santé publique inhérent à l'histoire toute récente des lieux, aujourd'hui la comuna 13 fait partie des sites les plus visités de Medellín.

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Tout n'est pas encore réhabilité, le labyrinthique bidon ville est toujours là.
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je triche, ce mur-ci est en ville mais l'idée est la même...
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des murs pour afficher les revendications
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Non, non, ce n'est pas enfin un peu de légèreté sur les murs. "Libérez les empenadas" vient d'une revendication très sérieuse pour ces gens qui n'avaient que la vente sauvage de ce chausson farci pour revenus, alors que l'Etat voulait l'interdire (sans pour autant donner de solution pour vivre aux habitants)
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ci dessus: le mur à la mémoire des morts et disparus lors de l'Opération Orion. C'est un des murs les plus symboliques et emblématiques du quartier.
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Hommage à un des grapheurs tués pour avoir peint
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la salle de sport du quartier
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escalators urbains, indispensables à la mobilité
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oeuvre à la famille
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L'éléphant comme symbole (car il pleure, n'oublie pas et accompagne ses morts), les  4 racines du hiphop comme moyen de témoignage et de libération de la parole
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téléphérique depuis 2004
les toboggans déjà c'est chouette pour descendre mais surtout c'est un hommage pour tous les enfants disparus
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Le sens de la vie: on n'oublie pas mais l'espoir est là.

Comuna 4: La Moravia

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Moravia:

Un autre arrondissement beaucoup moins connu mais dont l'histoire mérite tout autant d'être contée: la comuna 4, le quartier de la Moravia. 

Ici, pendant l'invasion, les réfugiés se sont installés à  partir de 1956 au bord du fleuve. 

Comme dans la comuna 13, le gouvernement a fait comme s'ils n'existaient pas. Alors ils ont construit également leur bidon ville de leurs mains avec ce qu'ils trouvaient. Et la municipalité déversait ses ordures sur ce terrain comme s'il n'y avait personne. Pire: en 1977 elle a officiellement déclaré la Moravia comme étant la décharge de la ville. Des milliers de camions déversant les ordures autour et sur les cabanes de fortune. 

Il faut essayer de vous imaginer: des dizaines et des dizaines de camions poubelle vidant chaque jour leur contenu sur le village improvisé. Une montagne d'immondices de plus de 30 mètres de haut, qui déborde et s'écroule sur les maisons, sur la population. Tous ces gens qui fouillent pour trouver des matériaux à récupérer, la course avec les vautours pour trouver de quoi manger. 

Consolider les habitations qui croulent sous les ordures, marcher continuellement sur les poubelles, respirer les gaz toxiques, éteindre les incendies provoqués par ces émanations toxiques, vivre malgré tout.

Ce n'est qu'en 1993 que la municipalité reconnaîtra ce lieu comme un quartier. Ce n'est qu'en 1995 qu'elle débutera un plan de réhabilitation. 

Combien de générations sont nées, ont (sur)vécu, sont mortes dans cette immense décharge à ciel ouvert...

Aujourd'hui El Morro est toujours une montagne. Mais les gens ont été pour la plupart relogés ailleurs. La plupart seulement parce que certaines familles trop nombreuses attendent toujours un logement adapté, parce que certaines qui n'ont connu que ce lieu ne veulent pas le quitter pour un appartement dans une barre d'immeuble impersonnelle. 

Aujourd'hui un collectif de jardiniers a pris les choses en main. Cette montagne d'immondices, ils l'ont recouverte de terre. Ils ont planté de l'herbe, des fleurs, des arbres. Évidemment beaucoup de plants sont morts et il faut les remplacer régulièrement. Évidemment rien ne pourrait être propice à la consommation donc pas de potager. Mais avec l'aide de l'université et quelques subsides de la mairie, les jardiniers ont appris quels arbres planter pour absorber les métaux lourds et dépolluer le site. Aujourd'hui les gaz qui s'échappent encore melangés aux déchets organiques de la population locale sont collectés et réutilisés comme énergie ménagère. 

Aujourd'hui, ils plantent pour verdir, réhabiliter, et occuper l'espace. Parce qu'aujourd'hui les réfugiés vénézuéliens arrivent en masse et recréent de nouveaux bidonvilles aussi insalubres que ceux d'il y a 50 ans... 

7 des 23 jardiniers du début de l'opération plantent encore pour ne pas oublier et ne pas reproduire l'horreur qu'ils ont vécue. 

C'est le plus beau monument "à la mémoire de..." qui m'a été permis de voir. Et je pense ne pas m'avancer beaucoup si j'affirme que c'est la plus belle initiative et la plus porteuse d'espoir que nous quatre ayons vue dans ce voyage. 

Aujourd'hui il y a un arbre, un wiwan (un trichanthera gigante pour les intimes de la botanique) que nous avons baptisé Mifa, qui pousse sur une ancienne montagne de déchets dans la comuna 4 de Medellín. 

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les vénézueliens, les nouveaux réfugiés del Morro
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la décharge s'effondre sur les maisons
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la concurrence des faims
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manger ce qu'on peut
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décharge à ciel ouvert - quartier insalubre - retour au vert
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la reconnaissance enfin:
habitants de Moravia: nous existons
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Eviter que les réfugiés bâtissent leur baraquement sur ces terres insalubres.
Notre "Mifa" au milieu de tous les autres arbres, va pouvoir absorber la pollution des sols et occuper l'espace

Le centre ville:

On ne peut pas vraiment affirmer que Medellín est une ville charmante... peu de témoignages d'histoire dans l'architecture. Tout est très récent et surtout en reconstruction. 

Elle porte encore beaucoup de stigmates de son passé sombre.

Il n'y a pas besoin de le chercher pour tomber sur la misère humaine. On croise des hommes en haillons échoués sur les bords des boulevards, on nous propose de la cocaïne en plein centre ville, on peut voir les prostituées à n'importe quelle heure tapiner dans les rues ou devant les églises, on a le cœur serré en passant devant des femmes indigènes maquillées comme des poupées se trémoussant tristement sur de la musique pour récolter quelques pièces...

Mais plus que la misère, ce qui choque le plus c'est la transformation en cours. 

La ville entière est en travaux. 

Réhabilitation, reconstruction sont les maîtres mots ici. 

Il planent une énergie et un dynamisme palpables dans l'air. 

Les gens, tous les gens, sont fiers de leur ville et nous la décrivent comme the place to be, to live, to invest. 

 

Investir dans les transports, le sport et la culture. 

Le métro et les lignes de téléphérique sont flambant neufs, incroyablement propres et terriblement efficaces. C'est une fierté locale. À juste titre. 

Beaucoup d'institutions sont gratuites et ouvertes à tous, et chacun profite de ces lieux avec respect et intérêt.

On a pu visité la "MJC" de Moravia par exemple, la casa de todos, où se rencontrent les enfants, les jeunes, les adultes, les vieux. Des expositions, des concerts, des cours de langue, de musique, de danse, de tissage, de jardinage... une incroyable diversité d'activités proposées gratuitement à qui veut.

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El parque Berrio, et l'eglise de la Candelaria
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les poteaux du métro

Botero lui-même a offert une 20aine de ses sculptures à sa ville, estimant que l'art appartient à tout le monde et doit rester accessible à tous, gratuitement. Ses oeuvres en bronze sont éparpillées dans un parc du centre, indifféremment au milieu des vendeurs à la sauvette, des joueurs de carte, des prostituées et des touristes.

En face, le musée Antioquia expose l'artiste (et d'autres plus classiques comme plus modernes) de manière plus conventionelle. On y trouve notamment deux peintures représentant la mort de Pablo Escobar. 

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Pablo Escobar muerto, 2006
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En outre, la ville s'est dotée d'un jardin botanique très élaboré, d'un grand zoo parfaitement entretenu, de bars à Tango, de petites halles pour les marchés, d'une ancienne gare ferroviaire devenue musée, d'un planétarium ultra moderne à la programmation digne de la géode parisienne, d'un musée des sciences interactif (parc explora) qui n'a rien à envier à notre forum des sciences, d'universités de pointe qui comptent parmi les meilleures du monde.

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Medellín c'est aussi les bâtiments publics qui se réorganisent. La quartier administratif est certe moche, (mais ne serait ce pas le propre de tous les quartiers administratifs du monde?) mais ultra moderne, et toujours décoré d'expos photo autour d'une imposante (38m de haut) statue célébrant l'histoire des peuples autochtones conquis de la région. 

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Le bar à Tango, rien n'a changé depuis 1956
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Plaza de Botero

Le musée de la mémoire, musée gratuit, moderne et interactif, est ouvert à tous et permet de s'imprégner de l'histoire contemporaine douloureuse du pays.

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On y retrouve les faits, les chiffres des attentats, des disparus ou des morts classés selon leurs origines, professions, mode d'assassinats. Des témoignages poignants d'enfants, de femmes, d'hommes, de victimes comme d'acteurs des violences. Des bandes sons, de la musique, des articles de presse, des études, des lettres, des photographies... 

ci-contre: Les femmes violentées devant leur famille, marquées après leurs viols par las Autodefensas Unidas de Colombia (AUC)
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Y'a toujours une locomotive pour El cheminot!
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combien d'heures pour sculpter tout ça...?!

Medellín, bien plus que sa capitale Bogotá, (et en toute objectivité 🙃) mérite qu'on s'y attarde. La rapidité de son évolution est fascinante, la diversité de son offre culturelle est impressionnante. 

Si vous le pouvez, restez donc plus de 2 ou 3 jours. Il y a tant à voir et à faire! 

vous ne pourrez pas en repartir indifférent, la force et la volonté des gens d'ici sont impressionnantes. 

Et surtout racontez nous! D'ici là, il y a fort à parier que la ville se transforme et se développe encore!! 

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Un immense merci à Juan et Estella, survivants depuis 49 ans dans la comuna 13, qui ont connu les années les plus sombres, qui ont survécu à la mort de leurs enfants, leurs voisins, n'ont jamais baissé les bras et inaugurent bientôt un restaurant dans le quartier, qui nous ont ouvert les portes de leur maison et nous ont accueillis comme la famille.

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Un grand merci à William, né dans la décharge de la Moravia et qui y travaille encore aujourd'hui avec cœur et passion pour mettre en valeur ce site de douleurs et de misères passées, qui nous a permis de planter un arbre et de participer ainsi à son action. 

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Un gigantesque merci à Cathie, qui nous a fait arpenter Medellín pendant 2 jours dans les secteurs touristiques autant qu'en dehors des sentiers battus, en nous expliquant l'histoire, le quotidien, les revendications, les différents points de vue, les problématiques passées et actuelles, la reconstruction et les espoirs, qui nous a retransmis son amour pour ces gens et cette ville. 

Merci pour son excellent travail de guide et pour son agence Kaanas travel, qui soutient tant les acteurs locaux, respecte et aide les minorités et tout ça dans une démarche aussi écologique que déontologique. 

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