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Première expérience mystique en Amérique Centrale

Temazcal

J'ai entendu ce mot la première fois à San Miguel de Allende.

J’y ai vu une cahute en béton, un banc circulaire à l’intérieur et un tuyau dont s'échappe de la vapeur au centre.

Un hammam, quoi.

 

Et puis au détour d’une conversation avec un très respectable voyageur inconnu, on me conseille de visiter Valle de Bravo. Et d’appeler un certain Lazaro.

 

Lazaro me donne rendez vous samedi matin à 10h. Il m’envoie une adresse approximative. Google me donne un point au milieu de rien. Je montre mon téléphone au chauffeur de taxi.

« Je vois la route, mais il n’y a rien pour une touriste par là. On va chercher ensemble quand on y sera. »

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Il me déposera très dubitatif, limite inquiet, au milieu de rien, au bord d’une route de montagne.

Je marche vers la position GPS indiquée, un peu au hasard.

Un peu seulement parce que derrière des palmiers j’aperçois de la fumée. J’entre dans une sorte de jardin tropical et interromps une conversation :

« Eres Isabel? Viene ! El vestidor es par aquà. »

Une fois en maillot de bain, je m’aperçois que d’autres nous ont rejoint, ça cause gaiement.

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Je fais la conversation avec un homme fraîchement amputé, une grand-mère qui semble avoir mon âge, un voisin... Tout le monde est très prévenant, ils parlent calmement et je ne suis même pas sûre que ce soit une gentille attention à mon égard. Ils semblent tous heureux d’être là, sereins et un poil ralentis.

image temazcal.jpeg

La cérémonie va pouvoir débuter.

Ne connaissant pas les us et coutumes, je laisse quelques uns me précéder.

Il faut se baisser et rentrer à quatre patte pour franchir la petite entrée du temazcal : une sorte d’igloo en terre cuite très bas de plafond. Certains apposent leur front au sol sur le seuil, en murmurant un remerciement à la terre mère.

Et dans le sens des aiguilles d’une montre, en tournant autour d’un grand creux dans le sol, chacun trouve sa place et s’assied sur un tapis sommaire à même la terre.

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Cet endroit ne voit jamais le soleil, il y fait froid.

On attend le maître de cérémonie : Lazaro. Il s’installe près de la porte, avec une conque, un petit pot de verdure séchée, des flacons d'huiles essentielles et un tambourin.

Il dit bonjour et bienvenue et une fourche passe le seuil pour lui apporter une grosse pierre volcanique incandescente.

« bienvenida abuelita » il la dépose dans le foyer au centre. Il y parsème des herbes (du tabac ? des plantes aromatiques ? Autre chose ? On ne saura pas. Chaque temazcalero a sa recette secrète.)

Puis une autre pierre, « bienvenida abuelita » puis une autre « bienvenida ..." On sent la chaleur monter, ça fait du bien. Et à chaque fois il y redépose une pincée d’herbes, ça sent bon.

Quand il décide que c’est prêt, il s'assure que tous les participants sont prêts et tout le monde répond en chœur « !La puerta ! » et un lourd tapis ferme l’accès à l'air libre et à la lumière.

 

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Au départ une obscurité éblouissante. Puis on devine la silhouette des pierres qui rougeoient, et comme une mini feu d’artifice dessus, les petites herbes qui scintillent.

 

4 grands coups de conque. Dans ce petit espace confiné je peux vous dire que ça fait son effet. Et cet homme a un sacré souffle.

Il commence ensuite à battre un rythme entêtant sur son tambourin. Tout le monde chante : « nous sommes les enfants du ciel et de la terre, nous vivons grâce à l’eau et le vent »

« Bravo, Yeehaaa, Félicitations » : tout le monde rit sa joie de chanter ensemble.

Et dans l’allégresse, on entend Lazaro nous envoyer des grandes bolées d’eau parfumée sur les pierres chaudes.

Tiens, c’est là qu’on réalise que tout allait bien. Il faisait juste chaud. Maintenant c’est étouffant.

 

Il remercie la Terre Mère de nous accueillir en son ventre, et nous enjoint à nous présenter. Il nous passe une maracas, qu’il est visiblement de bon ton d’agiter quand on prend la parole. Chacun notre tour, dans l’obscurité maintenant totale, on se passe la calebasse et la parole. De beaux discours de présentation, de gratitude envers la nature, et paf me voilà avec mes trois mots d’espagnol à devoir expliquer les raisons profondes de ma présence pour cette cérémonie mystique… autant vous dire que j’ai agité bien fort ma calebasse pour tenter de couvrir mon accent et mes fautes de conjugaison…

La suite de la cérémonie se passera dans les rires et les chants, et chaque fois qu’on se sent mieux, Lazaro nous remet de son eau infusée à je ne sais quoi sur les pierres, saturant l’air de vapeur fortement parfumée.

Il nous annonce ensuite la fin de ce très festif premier voyage.

Et tout le monde de s’exclamer : « !La puerta ! ».

 

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La porte s’ouvre. Un rai de lumière et de l’air salvateur… Et très vite dans l'embrasure la fourche réapparaît pour nous ramener d’autres pierres incandescentes...

« bienvenida abuelita », et un nouveau seau d’eau infusée « bienvenida agua »

Assez vite, Lazaro nous explique que maintenant nous allons passer la seconde porte, celle de la jeunesse.

 

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« !La puerta ! » et la porte se referme, le noir complet, brutal.

Il fait déjà chaud, mais il continue d’arroser les pierres.

D’autres chants sur l’enfance et des petites histoires sur la nécessité d’être acteur de sa vie, de ne pas laisser les choses se faire sans nous, ne pas être spectateur, respecter les éléments, les arbres, les plantes, les rivières…

Je me laisse bercer par sa voix, et ne sens qu’à peine les énormes gouttes de sueur qui me coulent dans le dos, mes cheveux font pleuvoir sur mes jambes. Je respire au même rythme que le tambourin qui fait vibrer ma cage thoracique. J'en prends toute conscience et m'en sens plus vivante.

Je n’ai pas compris grand-chose de son discours, j’ai saisi des bribes de gratitude, de regrets, et d’espoirs, et dans ma tête ça a été un joli voyage. Jusqu’à ce que de la vapeur me brûle le visage… c’était la fin de ce passage.

« !La puerta !»

 

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Je ne suis visiblement pas la seule à étouffer, j’emboîte le pas, à quatre pattes, de quelques participants qui prennent bien soin de contourner le foyer par la gauche, et sortent dans le jardin.

Dehors le soleil est éblouissant mais frais. Peut être que simplement le fait de se mettre debout et de s’étirer donne cette impression de fraîcheur.

Il y a un puit.

L’eau est glaciale. Je le sais, j'y ai trempé mes doigts à l'arrivée.

On s’asperge les uns les autres, j’ai l’impression que l’eau chauffe au contact de ma peau. Je suis moi même une de ces abuelitas ?

 

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« !La puerta ! »

Troisième porte à franchir, celle de la maturité.

Ce passage-ci ce fera en silence.

L’obscurité totale, le silence relatif : on entend les pierres chanter, les herbes siffloter, et finalement l’eau crépiter quand elle s’évapore brusquement.

C’est là que « ça » commence.

Bien sûr dans cette chaleur et avec ses inhalations, il était prévisible de se sentir fiévreuse. Mais malgré tout je ne m’attendais pas à toutes ces hallucinations. C’est beau ces couleurs, ça danse et ça virevolte. J’ai l’impression d’admirer des sons, et qu’en plus je suis totalement bilingue en sons. Je comprends tout, et c’est drôlement agréable comme endroit.

Un cri que cette fois je n’ai pas vu venir « !La puerta! »

 

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Dans le rayon lumineux de l’ouverture, je peux voir que certains sortent se rafraîchir, j’aurais hésité à sortir aussi si mes fesses et mes pieds n’étaient pas ancrées dans le sol. Tant pis. La prochaine fois.

La fourche, de nouvelles abuelitas: on commence à avoir un sacré tas de pierres au centre de notre sauna.

 

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« !La puerta ! »

Pour le dernier passage, les paroles reviennent, mais quelque chose a changé.

C’est plus sérieux.

Lazaro rappelle que tout est bienvenu dans le temazcal sauf la politique et la religion.

Un participant prend la parole pour remercier les femmes de sa vie, un autre confie ses difficultés à rester un homme bon au quotidien, un parle de l’association dont il fait partie…

Lazaro conclura avec une anecdote de sa vie antérieure et annonce la fin.

Il nous invite à prendre une grande inspiration, et d’un coup il renverse tout son seau d'eau sur les pierres chaudes. La chaleur est plus qu’intense, c’est une brûlure réelle que je ressens et que j’entends autour de moi.

Je serre les dents et j'entends des geignements, des plaintes... et comme tout à l’heure, je vois les plaintes et les soupirs de douleur de mes camarades ; comme une aurore boréale de couleurs chaudes à l’envers, émanant du foyer.

C’est douloureux mais beau en même temps et toute obnubilée que j'étais par mes hallu-lumières, je n’avais même pas remarqué que la porte s’était ouverte.

 

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On peut sortir, chacun à notre rythme. Passage à travers l’étroite porte, vers la lumière, sortir du ventre de la Terre-Mère, et renaître.

Enrichis par deux heures étranges, ouvertes sur le monde et centrées sur soi.

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Le Temazcal est un des rituels de l'ancienne civilisation Maya, reconnue pour sa maîtrise dans les domaines de l'astronomie, l'architecture, l'art et la médecine.

Le temazcalli (maison des pierres chaudes en maya) était autrefois utilisé pour purifier les corps et l'esprit, soigner certaines maladies, augmenter la vitalité des guerriers, ou lors de l'accouchement des femmes. C'est une cérémonie chargée de sens, de spiritualité et de croyances anciennes.

Cette construction ronde en terre, le temazcalantli, signifie le « ventre de la terre mère » ventre maternel dans lequel nous rentrons en contact avec Teotl le grand créateur et avec Tlazoteotl la déesse des temazcals qui se nourrit de nos toxines, nos émotions négatives, pour en faire de la terre fertile.

Et la sortie représente ainsi la renaissance.

C'est une pratique millénaire qui se déroule en 4 étapes, à travers 4 passages entre 4 portes à franchir selon les directions du maître de cérémonie.

Les pierres volcaniques les « abuelitas » contiennent la sagesse de la terre mère

on retrouve également les 4 éléments dans cette cérémonie

- l'eau ; la préparation que l'on verse sur les pierres (eau infusée de branches, plantes, etc... recette secrète du maître de cérémonie)

- La terre par la construction du temazcal lui même, entrailles souterraines en terre cuite.

- Le feu par les pierres incandescentes

- L'air par la vapeur qui s'en échappe.

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