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Une nuit à JFK

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Emmitouflée dans un plaid trop bleu et trop fin, elle parcourt les pages de son téléphone d'un doigt paresseux.

Avachie sur le comptoir en plastique, ses pieds noirs devenus gris, raidis par le froid, au bout d'un pantalon léger à carreaux, la tête posée sur son bras, tout son corps est figé depuis des heures. Seul son doigt rassure sur son état.

A quelle compagnie a-t-elle volé cette couverture ? Avait elle réellement prévu un pantalon de pyjama pour la nuit ? Mais qu'est ce qu'elle fait là ??

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Et les autres, là ?

Un père et son fils, en costumes noirs tamit et tsitsits sur leur banc. Leur grands chapeaux rivés sur la tête, ils se tiennent bien droits, regardent devant eux, sans se parler.Un vieil homme grisonnant s'est étalé de tout son long sur sa veille valise pelée. Comment ne sent il pas les accoudoirs lui briser les côtes ? Une famille de chinois aussi. Ils ont investi une table de fast food, entassés les uns sur les bagages des autres ; ils forment un agglomérat de doudounes et tissus synthétiques colorés.

Personne ne sourcille quand la voix synthétique résonne : « you're attention please… »

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Dans cet immense hangar vide la voix résonne fort pourtant. Et quand elle n'a plus rien à annoncer, on entend le hangar respirer. Fort. Le vrombissement de la climatisation, les moteurs des machines automatiques, des publicités, le grésillement de tous ces projecteurs trop éblouissants.

Un jazz de salle d’attente tente de percer. Entrecoupé de l'alarme de la lessiveuse du sol, d’un éclat de rire lointain de la dame pipi, d'un claquement de pelle du videur de poubelle.

Tout ce monde qui travaille là de nuit. Qu'on ne distingue que quand les voyageurs désertent.

La nuit à JFK, on entend même les oiseaux, squatteurs improbables, qui se lamentent de ne trouver aucune miette à voler.

 

À 5heures, un frémissement sourd.

Les zombies tressaillent : le premier Dunkin Donut ouvre ses portes. Tous ces naufragés des airs reprennent une forme de vie dans l'espoir d'un café crème.On voit des employés en uniformes colorés selon leur compagnie ou leur fastfood, passer les portes automatiques. Le mauvais jazz disparaît déjà sous les claquements des talons sur le carrelage, sous les salutations des employés qui se retrouvent. Les oiseaux piaillent, ils se réjouissent de l'apparition prochaine des premières miettes de muffins.

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Un vrombissement lourd quelque part ; peut-être un métro, un avion ou l’air-train.

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Le tintement des pièces dans une caisse pour entamer la journée. Des cadenas, des chaînes des rideaux de fer sur les commerces : le fracas annonce que la tolérance offerte aux voyageurs naufragés prend fin. Ressaisissons nous : une nouvelle journée commence sans que la dernière ne se soit achevée. 

 

NewYork ne dort jamais.

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